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Octobre 2024
Cet article est un complément de la vidéo LE MUSEUM REQUIEN
que nous vous invitons à regarder en bas de page.
« La demeure (natale) de Requien était l’une des plus originales que peut rêver une imagination fantaisiste, elle occupait le coin – et quel coin ! – d’une ruelle qui n’était en réalité qu’un cul de sac, que l’on appelait la rue de l’Ombre [actuelle rue Cassan]. Le rez de chaussée n’existait pas. Ce n’était qu’un hangar où l’on entassait les produits de la tannerie administrée par un régisseur. On montait par un escalier de bois aux appartements du maître. Sa chambre donnait sur un tout petit jardin, dont le principal ornement était un immense figuier, connu et presque célèbre dans toute la ville.
Cette étrange demeure devint vite le rendez-vous de tous les artistes et écrivains de passage à Avignon. Son hospitalité égalait son savoir. J’en ai vu peu de plus expansives, de plus cordiales, de plus avenantes, de plus absolues…
Sa table était excellente, ses dîners du dimanche avaient un succès universel. J’ai vu à cette table hospitalière le duc de Luynes, Horace Vernet, Paul Delaroche, Liszt, Mérimée…Sa science encyclopédique n’avait rien de pédantesque, d’officiel ou de gourmé. Vivant familièrement avec elle, il lui avait communiqué quelque chose de sa simplicité et de sa bonne humeur.» (Pontmartin Mes mémoires. Seconde jeunesse)
F. Pascal
Portrait de Madame Requien
Né en 1788 dans une famille de tanneurs, Esprit Requien jouit de revenus confortables alloués par son père, qui cependant se montre assez strict et, du fait de ses dépenses effrénées le jeune homme se retrouve quelquefois démuni. Quand il hérite de la tannerie il s’en occupe peu et la vendra en 1838.
Il reçoit beaucoup, et la cuisine de sa mère est réputée. S'il reste célibataire, il mène une joyeuse vie avec ses amis, dont Mérimée n’est pas le dernier à partager ses «fredaines». Ce dernier lui écrit en 1836 : « J’ai trouvé qu’il y avait à Rome, dès le temps d’Auguste, un inspecteur des monuments historiques, lequel cumulait avec l’inspection des édifices publics celle des bordels lupanaria... Je me propose de faire citer le précédent à M. Thiers et de faire ajouter ces fonctions à celles que j’exerce déjà ».
De haute taille, le « teint coloré, le caractère fort et tenace » c’est un bourgeois méridional jovial, généreux et serviable. Quand sa mère décède en 1843, tous ses amis prennent part à son deuil.
Dauphinelle de Requien
A dix huit ans, probablement initié par son père, il est déjà en relation avec le directeur du jardin botanique de la Marine de Toulon et acquiert rapidement une réputation nationale et même européenne. Pour satisfaire sa passion, il trouve un remplaçant pour la conscription militaire, auquel il versera une rente à vie.
En 1810, il interrompt ses recherches frénétiques, au grand dam de ses correspondants, parmi lesquels Aglaé Adanson, horticultrice renommée, puis les reprend avec plus de calme. Il communique fréquemment avec les savants Alcide d’Orbigny et Philippe Matheron, lesquels donnent son nom à plusieurs de ses découvertes : tels Coilopoceras requienianus, Hyænodon requieni, Tuber requieni, Delphinium requieni, Narcissus requieni…
Narcissus requieni
Dès 1811, il possède « un herbier de 4000 espèces au moins » et pratique activement des échanges constants avec les savants les plus réputés dont il corrige parfois les erreurs, tels le professeur Decandolle ou Loiseleur-Delongchamps, auteur de la Flora Gallica, et bientôt son herbier devient considérable. Il comptera de 100 000 à 150 000 échantillons.
Cependant il ne publie que rarement ses découvertes : un catalogue des végétaux du Vaucluse, un essai sur la topographie du Ventoux, pour lequel on le considère comme un précurseur de la phytosociologie, l’étude des communautés végétales et de leur relation avec le milieu naturel.. Il fait de nombreuses excursions dans toute la France et particulièrement en Corse, malgré les risques que faisaient courir les fameux bandits romancés par son ami Prosper Mérimée. Il est le découvreur de l’Euphorbia Corsica Requien, et de Soleirolia soleirolii Requien, endémiques de Corse.
Ambroise Tardieu
Portrait de JL Loiseleur Deslongchamps
Ingres
Portrait d'Aglaé Adamson
Il acquiert en 1836 l’herbier de son ami Loiseleur Delongchamps, pesant 584 kilos, pour la somme de 1000 francs.
Les bâtiments de saint Martial deviennent alors le Cabinet d’Histoire Naturelle, avec des salles de chimie et de physique où plus tard, Jean Henri Fabre donnera ses cours.
En 1793, la Convention avait ordonné de continuer à entretenir les plantes cultivées dans le Jardin des Médecins de l’université de Médecine d’Avignon, alors disparue. Cependant, les terres qu’il occupe sont vendues comme bien national et les plantes sont déplacées au couvent saint Martial en 1798. Le jardin prend ce nom et est reorganisé par l’architecte des Domaines.
L’autre passion d’Esprit Requien fut pour ce Jardin, « Notre ville n’avait point de Jardin botanique, on vient de lui en accorder un dont j’aurai la direction. Il n’est pas bien grand mais pourra contenir de 5 à 6000 plantes », écrit-il. Il s’active pour réclamer des plantes, des graines, des subsides… qu’il complète de sa poche. Là encore, il fera don de sa bibliothèque d’Histoire Naturelle et de ses précieuses collections, qui constitue encore aujourd’hui la majeure partie de la bibliothèque du Muséum.
Le Jardin botanique s’enrichit constamment de ses apports. C’est ici que sont introduits en France l’olivier de Crimée, le néflier du Japon, le tamaris de Constantinople… Les Avignonnais viennent se promener dans les allées, peuvent y obtenir gratuitement des greffes, des boutures et des graines, apprendre à tailler les arbres fruitiers, suivre des cours d’horticulture.
Le square saint Martial début XXème où l'ont voit encore les serres installées entre les arcades de l'église (Collection M. Bourgue)
Quand, en 1853, la ville d’Avignon, sous la direction de la municipalité Paul Pamard, décide de percer une grande artère face à la gare nouvellement édifiée pour mener à la place de l’Horloge remaniée, de superbes demeures anciennes sont éventrées et le jardin saint Martial est amputé de près de 4000 m². Malgré l’opposition de la Fondation Calvet dont il dépend, il souffre considérablement des travaux et est déplacé au parc des Invalides, sur les anciens terrains du couvent des Célestins. Malheureusement, en 1860, ce Parc des Invalides (du nom de l’établissement destiné aux soldats blessés pendant les guerres napoléoniennes) est également anéanti, contre, de nouveau, la volonté de la fondation Calvet et des Avignonnais. La mairie propose de déménager les plantations derrière la gare, sur un terrain en friche, ce qui sera fatal à beaucoup. Puis la Compagnie des Chemins de Fer rachète le terrain… Et le jardin disparaît.
Son emplacement initial devient le square Agricol Perdiguier, du nom du célèbre Compagnon du Devoir. Seules les serres installées entre les arcs-boutants du temple saint Martial (démolies depuis) le rappelaient. Au tout début du XXème siècle, il est agrandi par la démolition d’immeubles mitoyens, et agrémenté de sculptures et de bassins.
Buste d'Esprit Requien
à l'entrée du square
Les arcades et l'actuel square Perdiguier, il ne reste rien du jardin botanique de Requien
Herbier d'Esprit Requien -Museum Requien
Livres précieux, documents historiques rares, autographes, numismatique, coquillages, pierres, trouvailles archéo-logiques, tableaux, gravures et dessins, ensemble unique de manuscrits et d'imprimés relatifs à l'histoire locale… Esprit Requien a multiplié les centres d’intérêt et les collections, toujours de valeur.
« Ma vie entière ayant été employée à faire des collections, pour lesquelles j’ai fait peut-être plus de dépenses que mon modeste patrimoine me le permettait, mon opinion a toujours été que c’était folie que de faire des collections pour les laisser vendre ou dilapider après soi… ».
Cabinet de curiosités
De 1819 à 1838 il est administrateur de ce qui deviendra, de nos jours, l'Institut Calvet dont le musée est fondé sur les collections d'Esprit Calvet, médecin, bibliophile et grand collectionneur lui aussi, alors installé dans l’ancien couvent saint Martial. « Le musée Calvet, c’est moi ! » dit-il alors. Il est chargé des achats de livres pour la bibliothèque à laquelle il lègue la sienne, considérable, de 3572 volumes et 301 manuscrits. « Ce fonds est composé d'ouvrages anciens, rares ou rarissimes, qui s'échelonnent du XVIe au XIXe siècles. En plus de son intérêt scientifique évident, il constitue une magnifique collection bibliophilique.» (Jacky Granier)
Il préside à l’acquisition, coûteuse (10500 francs soit 24000 euros environ) et rendue difficile par de nombreuses réticences, de la collection de la famille Nani de Venise, dont les marbres sont exposés de nos jours au musée Lapidaire.
Femme drapée - Musée Lapidaire
Stèle funéraire de Prothymos, jeune homme mort en mer- Musée Lapidaire
Stèle funéraire de Parhésia, fille de Protarchos - Musée Lapidaire
Saint Martial devenant trop exigu pour les collections, Requien supervise leur transfert dans l’Hôtel de Villeneuve Martignan (actuellement Musée Calvet) rénové à grand frais par la Ville. Le nouveau musée ouvre en 1836.
Il s’intéresse également à la zoologie, à la paléontologie, la malacologie (étude des mollusques) la conchyliologie (étude des coquillages) et la sigillographie (étude des sceaux).. Il est à l’origine de la découverte de nombreux taxons (entité qui regroupe tous les organismes vivants et les classe selon une hiérarchie de groupes de plus en plus vastes).
Jusqu’au début du XIXème siècle, les restes pétrifiés d’animaux disparus n’avaient été que des objets de curiosité ou de pharmacopée. La paléontologie, récente étude rationnelle des fossiles qui permet de mieux connaître l’histoire de la Terre, le passionne.
Il est alors considéré comme « un des hommes les plus éminents, les plus savants et les plus respectables à tous égards de notre régiment » [de spécialistes] (Lettre de Charles Desmoulins, échinologue [étude des oursins] en 1846)
Egalement ethnologue, numismate, archéologue, il est chargé de surveiller les fouilles lors de la destruction de l’ancien Hôtel de Ville, et celles de Vaison la Romaine pour lesquelles il demande de l’argent. Mérimée lui répond qu’hélas, les caisses sont vides…
Lorsque la municipalité veut démolir les remparts pour faire passer le chemin de fer, Esprit Requien se bat au côté de Mérimée pour faire annuler le projet.
Il sera aussi, au fil des années, directeur du syndicat de la Durance, Conseiller municipal (il est légitimiste mais refuse d’entamer une carrière politique), administrateur du Mont de Piété, membre d’innombrables sociétés savantes et exécuteur testamentaire d’Esprit Calvet en 1838.
Malade et lassé par les incessantes tracasseries administratives, presque ruiné par ses achats de livres, ses dépenses de voyage et ses dons au musée Calvet, il s’installe en Corse.
Charles Emille Callande de Champmartin -
Portrait d'Esprit Requien 1846 après sa maladie
Il revient pour sauver le musée de l’abandon qui menaçait, et retourne à Bonifacio où il est frappé d’une atteinte d’apoplexie en mai 1851.
On lui fit des funérailles grandioses en Corse avant que sa dépouille soit ramenée au cimetière saint Véran d’Avignon. Son tombeau porte comme épitaphe « Cor rectum inquirit scientiam » (L’homme de bien cherche à découvrir la science).
En 1857, les collections d’Histoire Naturelle connaissent un premier déménagement pour permettre la démolition d'une partie de saint Martial, lors du percement de la rue Bonaparte (actuel cours Jean Jaurès), puis sont réinstallées dans les anciens locaux considérablement réduits. Quant au superbe jardin botanique, il est sans pitié anéanti par ces mêmes travaux.
.Les galeries d’Histoire Naturelle sont renommées Muséum Requien (ce qu’il avait refusé de son vivant). Après plusieurs directeurs, Jean Henri Fabre s’occupe activement du musée jusqu’en 1873, même lorsqu'il s'installe à Orange, en 1870, après avoir été contraint à la démission pour avoir enseigné la sexualité des plantes à fleurs à des jeunes filles…
En 1898, les collections rejoignent celles du Musée d'Art et la bibliothèque dans l'Hôtel de Villeneuve-Martignan. Une partie est présentée au public.
Hôtel de Raphélis-Soissan
Au XVème siècle, les maisons de l’actuelle rue Joseph Vernet appartenaient à des macelliers (bouchers). Fin XVIIème, deux maisons sont achetées par François-Marie de Louvancy qui fait édifier son hôtel particulier. Au milieu XVIIIème siècle la famille de Soissan acquiert la propriété que Joseph-François-Hyacinthe de Raphélis-Soissan, érudit et grand collectionneur, parviendra à conserver à la Révolution.
Après une longue période de sommeil, en 1940 le Conseil d’administration de l'Institut Calvet achète le bâtiment et grâce au talent de son conservateur, Léon Germand, l’institution retrouve son éclat, installée dans le bâtiment en 1944. Le lieu, vétuste, est rénové en 1976 et le second étage, jusque là servant d'appartement au conservateur, Léon Germand, est transformé en réserves.
Aujourd'hui le Muséum Requien est établi sur trois niveaux : expositions présentées au rez-de-chaussée, faune et la flore vauclusiennes depuis le Carbonifère ; le premier étage est destiné à l'administration et aux collections de zoologie, à la bibliothèque et à l'accueil des sociétés scientifiques et culturelles ; le dernier niveau est consacrés aux réserves accessibles seulement aux chercheurs.
Les collections de botanique, zoologie, géologie et paléontologie sont ponctuellement consultées par des spécialistes de tous horizons. Lieu de conservation de la biodiversité actuelle et passée, il est un contributeur dans des projets scientifiques, nationaux et européens et présente des expositions permanentes et temporaires, ainsi que des conférences.
Quelques chiffres :
Dans le domaine de la botanique, le muséum possède le cinquième herbier de France, classé parmi les trente premiers herbiers mondiaux, composé de 450 000 échantillons ainsi qu’un millier d’échantillons de bois, fruits et graines.
En zoologie, 150 000 échantillons, en paléontologie 280 000 échantillons, et en pétrographie et minéralogie 90 000 échantillons.
2 535 liasses, 157 classeurs et boîtes, 180 herbiers sous forme de livres, 70 collections occupent 137 mètres linéaires.
Une centaine de « spécimens types » et un million de spécimens d'origine mondiale complètent les collections Un spécimen ayant permis de décrire une nouvelle espèce est un élément fondateur de la classification
La riche bibliothèque d'étude comprend 9 600 ouvrages, 20 000 tirés-à-part, 431 titres de périodiques, 10 000 diapositives et photographies, 15 films vidéo et 92 disques.
Depuis 2020, Joseph Jacquin-Porretaz, biologiste et conservateur du patrimoine scientifique, technique et naturel, a pris la succession de Pierre Moulet à la tête du muséum.
Pour conditionner les 300 000 plantes collectées il y a 180 ans par Esprit Requien ainsi que celles d'herbiers arrivés récemment, et participer au nettoyage des collections d'entomologie, une équipe de bénévoles a répondu à son appel de 2022 pour renforcer l’équipe du muséum et étiqueter les spécimens à l’aide de bandelettes de papier gommé sur des feuilles de papier à pH neutre. Un travail minutieux et indispensable à la bonne conservation des herbiers.
Un mot encore sur les jardins botaniques
De récentes recherches sur le réchauffement climatique ont déterminé que les jardins botaniques « pourraient jouer un rôle crucial dans la régulation de la chaleur urbaine ». (article de février 2024 dans The Guardian). Ils « contribuent à diminuer la température de l’air de 5° durant les vagues de chaleur …/… Ces territoires ménagés rassemblant une grande diversité d’espèces végétales sont les instruments les plus efficaces pour rafraîchir les villes ».
Et si on reconstituait le jardin d’Esprit Requien ?
Qu'est ce qu'un herboriste ? SI vous désirez en savoir plus, rendez-vous ici !
Euphorbia Corsica requieni, découverte par Esprit Requien en Corse
Bibliographie
Pierre Moulet -Esprit Requien Essai de biographie
fetedelanature.com/conserver-l-herbier-d-esprit-requien
Benoît Dayrat - Les botanistes et la flore de France
Musée botanique Artemisia de Forcalquier