Juiillet 2023
Les écrivains d'Avignon
René Girard
«L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre»
(Mensonge romantique et vérité romanesque)
Enfant d'Avignon devenu un philosophe de renommée mondiale, René Noël Théophile naît à Avignon le jour de Noël 1923. Son père, Joseph, archiviste et paléographe, républicain anticlérical, est le conservateur du Palais des Papes, de la bibliothèque et du musée Calvet de 1906 à 1949. Sa mère, première bachelière de la Drôme, est une catholique admiratrice de Maurras, qui transmet son goût pour la musique et la littérature à ses cinq enfants, René étant le deuxième garçon. Il apprend à lire seul à l'âge de six ans.
Il bénéficie donc d’une enfance heureuse dans une famille d’intellectuels sans grands moyens financiers, conscients de l’ampleur des menaces de la période. Les manifestations d’extrême droite de février 1934 le marquent durablement.
« J’ai grandi dans une famille de bourgeois décatis, qui avait été appauvrie par les fameux emprunts russes au lendemain de la première guerre mondiale. Nous faisions partie des gens qui comprenaient que tout était en train de foutre le camp. Nous avions une conscience profonde du danger nazi et de la guerre
qui venait. Enfant, j’ai toujours été un peu poltron, chahuteur mais pas batailleur. Dans la cour de récréation, je me tenais avec les petits, j’avais peur des grands brutaux. Et j’enviais les élèves du collège jésuite qui partaient skier sur le mont Ventoux… »
Renvoyé du lycée pour « mauvaise conduite », René Girard obtient brillamment son bac en candidat libre et se rend à Lyon pour préparer Normale-Sup en 1940, mais sa relative pauvreté le pousse à regagner Avignon. Sur le conseil de son père, il intègre l’École des Chartes à Paris où il souffre de la solitude, mais soutient une thèse d'archiviste paléographe sur La Vie privée à Avignon dans la seconde moitié du XVème siècle. Il participe en 1947 à l’exposition d’art contemporain dans la grande chapelle du Palais des Papes et va chercher lui-même à Paris certains des chefs d’œuvre exposés àAvignon : Braque, Picasso, Klee, Léger, Kandinsky, Matisse, dans le cadre de la Semaine d'Art à l'origine du Festival...
Cependant il choisit un poste d’assistant de français aux Etats-Unis, malgré l’avis de son ami René Char, et c’est là qu’il fera toute sa carrière. Il épouse en 1952 Martha McCullough. Ils auront trois enfants.
Enseignant la littérature française à ses étudiants, il leur présente les ouvrages qui l’ont marqué, Proust, Cervantès, Dostoïevski, Stendhal, Flaubert... C’est ainsi que naît l’œuvre de sa vie : retracer le destin du désir humain à travers la littérature.
De 1957 à 1980, il professe dans diverses universités, dont celle de Baltimore où se précise son objectif, synthétiser l’histoire, la littérature et l’anthropologie religieuse. « Tout ce que je dis m’a été donné d’un seul coup. C’était en 1959, je travaillais sur le rapport de l’expérience religieuse et de l’écriture romanesque. Je me suis dit : c’est là qu’est ta voie, tu dois devenir une espèce de défenseur du christianisme ». Il collabore avec Michel Serres. En 1966, il organise un colloque international destiné à promouvoir le structuralisme auprès des universitaires américains, qui réunit les
principaux penseurs français de l’époque : Roland Barthes, Jacques Lacan et Jean-Pierre Vernant. Cependant Jacques Derrida, alors inconnu, s’employa à réfuter cette théorie au profit de la «déconstruction», ce que Girard qualifiera de « peste ».
Fondateur de la « théorie mimétique » il inaugure une nouvelle anthropologie de la violence et du sens religieux, dans une vingtaine d’ouvrages dont « Mensonge romantique et Vérité romanesque » et « La Violence et le Sacré » qui remettent en cause certains concepts fondamentaux de Freud et de Lévi-Strauss et sont mal compris. « Des choses cachées depuis la fondation du monde », qui expose l'ensemble de sa pensée et le rôle central qu'ont pour lui les textes bibliques, est mieux accueilli par le grand public mais est « reçu par un silence à peu près total » dans les milieux universitaires.
En 2005 il est élu à l’Académie française. Il est Docteur Honoris Causa de nombreuses universités.
René Girard meurt en 2015 à Stanford et ses obsèques ont lieu à Paris.
« Une victoire sur l’amour propre nous permet de descendre profondément dans le Moi et nous livre, d’un même mouvement, la connaissance de l’Autre. A une certaine profondeur le secret de l’Autre ne diffère pas de notre propre secret.»