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Par Liliane, Septembre 2023

LE PONT SAINT BENEZET

      Le Rhône, fleuve longtemps tumultueux et « capricieux » tout en étant une grande voie de circulation de Lyon à Marseille, a joué un rôle de frontière naturelle et depuis l’Antiquité, les hommes se sont efforcés de le traverser.

La question de la propriété du fleuve, et donc de ses îles et de son franchissement, a toujours été un point d’achoppement entre Avignon et le royaume de France. Avignon appartenant au saint Empire germanique, puis aux comtes de Toulouse et de Provence et enfin au pape, s’oppose à Villeneuve sur la rive droite, terre française. Les désaccords sont constants, car des revenus importants, droits de passage et de douane, sont liés. Au moment de l’installation de la papauté au XIVème siècle un afflux de population et un accroissement des échanges commerciaux provoquent le développement fulgurant de la ville.

Une construction...en deux versions

Saint Bénézet par Jean Peru, XVIIème s. Eglise saint Didier

La construction légendaire

En 1177, Bénezet, berger ardéchois âgé de douze ans, entend la voix du Christ lui ordonnant de construire un pont sur le Rhône. Guidé par un ange, il traverse le fleuve grâce à un batelier à qui il donne les trois pièces de monnaie qui lui restent et va voir l'évêque d'Avignon pour lui faire part de sa mission. Celui-ci se moque de lui et l’envoie chez les magistrats. On le charge de porter une pierre « que trente hommes n'auraient pu déplacer », pour prouver qu’il est capable de construire le pont. Bénézet s’exécute – le premier des miracles qui lui sont attribués. Les dons affluent et la construction commence. Cet  «ouvrage inouï depuis des siècles» est achevé en huit années... selon la légende.

Saint Bénézet par F. Dehoux

XXème s. Place des Corps Saints,

Bien que jamais canonisé, Bénezet est qualifié de saint dès le XIIIème siècle et son culte se répand. Il est représenté avec la pierre sur l'épaule, parfois un mouton, une maquette du pont. Les témoignages sont recueillis une vingtaine d'années après sa mort prématurée à l’âge de dix neuf ans : il aurait rendu la vue, l'ouïe, la marche et la santé à un grand nombre de personnes. Bénézet meurt vers 1184, déjà objet  d’une grande vénération. Il a choisi le lieu de sa sépulture : une chapelle au-dessus d'une pile du pont qui devient rapidement un lieu de pèlerinage. La légende se répand vers le milieu du XIIIème  siècle par les moines de l'œuvre du Pont dans le but d'obtenir des fonds. Bénézet aurait en effet établi une «maison des Frères Pontifes» pour veiller à l’entretien du pont. Plus tard, ces moines bâtisseurs se rallieront à des ordres militaires.

La construction réelle

Armes de Bénézet

sur la 1ere arche

Dessin de Pierre Etienne Martelange - XVIIème s.

Armes de la famille de Sade

sur la 1ere arche

L’existence d’un pont romain sur les piles duquel il aurait été construit en 1177 est maintenant mise en doute, car le niveau du lit du Rhône était inférieur de trois mètres à l’époque romaine.

 

A l’origine, les piles de pierre sont surmontées d'un tablier de bois. Long de plus 900 mètres, le pont compte 22 arches et sinue en franchissant le fleuve et les îles, depuis la tour-porte du Châtelet côté Avignon (manifestation ostentatoire de la part des Avignonnais face au royaume de France), jusqu’à une tour sur le port de Villeneuve, qui sera remplacée par la Tour Philippe le Bel en 1292.

 

L’édification du pont a lieu en été lorsque le niveau des eaux est le plus bas. De plus, la période est caractérisée par un climat sec, sans grandes crues. Une centaine d’ouvriers construisent un à deux piliers par an.

Dessin encre et aquarelle, début XVIIIème s. - Arch. Mun

Le port et le pont - Dessin encre et lavis XVIIIème s. - Arch. Mun

Selon les historiens, le pont aurait été achevé en 1193, et sera en travaux permanents jusqu’au XVIème siècle. Bénézet aurait été un moine constructeur expérimenté, mort avant la fin des travaux. Ses reliques examinées en 1980 par Sylvain Gagnière, conservateur du palais des Papes, désignent un homme mince et robuste, décédé entre 25 et 30 ans et mesurant 1,65 m.

 

Pour une ville en plein essor, l'utilité économique d'un pont – qui sera longtemps le seul entre Lyon et la mer - est évidente. Dès la fin du XIIIe siècle, la ville prend en charge la gestion de l'édifice, soutenue par des «sponsors» telle la famille de Sade.  Un service religieux est assuré par l'église saint Agricol en 1321, et l’hôpital fondé en 1363 par le cardinal Audoin Auberti en faveur des voyageurs nécessiteux, puis affecté aux scrofuleux au XVIIème siècle, fonctionnera jusqu'en 1796.

Les chapelles

En 1226, le roi de France, Louis VIII, s’opposant au comte de Toulouse, fait le siège d’Avignon et détruit en partie le pont. Il est alors reconstruit en pierre, un peu plus haut,  la chapelle basse se situant au niveau du premier pont. Au XIVème siècle, une deuxième  chapelle dédiée à saint Nicolas, patron des bateliers, pour la confrérie des Nautoniers, est ajoutée et agrandie au début du XVIème siècle.

La chapelle haute gothique saint Nicolas

La chapelle basse romane saint Bénézet

Vicissitudes et effondrements

En 1349, le pape Clément VI fait rétablir quatre arches qui s’étaient écroulées à la suite d’une inondation. En effet, ses cardinaux qui possédaient des villégiatures à Villeneuve où se réfugier en été ou bien en cas de peste, y tenaient beaucoup.En 1368 Charles V, qui se prétend souverain de la totalité du fleuve, concède au pape la partie comprise entre les murailles de la ville et la chapelle de Saint-Nicolas sur ce pont. C’est à peu près ce qui subsiste aujourd’hui.

A contrario, en 1395 l’anti-pape Benoit XIII, harcelé par les ducs d’Orléans, de Berry et de Bourgogne logés à Villeneuve, pour qu’il renonce à la papauté, fait abattre une arche pour empêcher leur venue. Ce n’est qu’en 1418 que la ville – qui perçoit un droit de passage – la fait reconstruire.

Registre avec sceaux du « Procès du Rhône »  entre le pape et le roi

au sujet des limites du territoire d’Avignon du côté du fleuve

(Archives Municipales)

Détail du retable de la famille Perussis, 1480

Attribué à l'atelier de Nicolas Froment

Le Rhône n’est pas dompté, et sous le coup de ses crues, de la glace et du gel, dix-huit arches s’effondrent peu à peu. En 1650, on remplit les lacunes avec des charpentes de bois, emportées par les glaces vingt ans plus tard. « Parfois, on continue en bateau entre deux arches ou on marche sur la glace qui n’est pas assez épaisse et on tombe à l’eau».

Gravure de Mamigoz, XVIIème siècle

En 1674, devant la menace d’un effondrement total, les reliques de saint Bénézet inhumé dans la chapelle saint Nicolas sont  transférées au cloître des Célestins.

 

Plusieurs facteurs contribuent à la fragilité du pont : il repose sur un sol limoneux et un lit de galets qui le rend vulnérable au cours tumultueux du fleuve, aux inondations et aux périodes de gel. Le financement vient à manquer pour l’entretien et les reconstructions coûtent cher. Après de nouvelles chutes en 1680, Louis XIV, qui pourtant avait eu l'occasion de traverser le pont à cheval, décide qu'il ne serait plus réparé. Le franchissement du Rhône ne se fait plus qu’au moyen de bacs.

JB Michel Vestige d'une pile du pont Saint-Bénézet  Fondation Calvet.png

Vestige d'une pile du pont. Photographe JB Michel fin XIXème

Les prémices de la sauvegarde des monuments historiques, au début du XIXème siècle, redonnent espoir aux partisans de la reconstruction. Mais que faire du vieux pont médiéval ? La priorité était d’empêcher l’écroulement des quatre arches qui aurait barré la navigation sur le petit bras du Rhône. Il est donc décidé de la consolider rapidement, et en mai 1827 à sept heures du matin, à cause de la pluie violente, il est demandé à l’entrepreneur de dresser une tente au-dessus de la lézarde de la deuxième pile « de manière à empêcher la pluie de pénétrer » et « d’y couler du bon béton, de faire travailler les ouvriers jusqu’à la nuit et le dimanche, et même aux flambeaux s’il y a nécessité ».

 

Puis l’essor du transport ferroviaire aux dépens du transport fluvial, l’arrivée du train à Avignon en 1834, font oublier la possibilité de reconstruction, et le pont saint Bénézet reste en l’état… jusqu’à sa nouvelle incarnation ?

Quant à la célèbre chanson, elle viendrait d’un air ancien, repris dans une opérette d’Adolphe Adam de 1853, Le sourd ou l’Auberge pleine. En 1876, une nouvelle opérette s’intitule Sur le pont d’Avignon. Si on y a dansé, c’est plutôt sous que sur étant donné son étroitesse, peut-être au moment où une auberge s’établit sur l’île de la Barthelasse au pied d'une arche isolée.

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