Un peu de poésie
Il y a une ville Avignon,
entourée de remparts,
protégée du tumulte du monde,
seule, humaine, de couleur
éblouie par le soleil,
éclairée par la nuit,
pareille à un monde incertain
des milliers de regards la surveillent
dans le silence
les yeux clos,
accrochées aux murs,
ne faisant que respirer dans
l'instant du retour à la vie
les vierges de la mémoire,
de hier, de demain, du désir
Une femme Un homme
les cherchent, les apprivoisent,
parcourent les rues de la ville
posé sur leur cœur, le rêve
fou que les Vierges deviennent humaines
posant leur regard sur eux,
sur la vie,
l'histoire, sur le temps,
passé, présent.
Dominique Bornand
Les poèmes de Provence
Vignes du Languedoc, oliviers des Alpilles,
Toi qui dresses si haut ton front neigeux, Ventoux,
Alpes du Dauphiné, forêts, monts et collines,
Dans la plaine à vos pieds, que regardez-vous tous ?
Les pics et les coteaux, les vignes et les chênes,
Étageant leurs gradins en cercle à l'horizon,
Regardent au milieu des mûriers, dans les plaines,
Près du Rhône qui luit, la hautaine Avignon.
Avignon a des murs du temps des épopées,
Dentelées de créneaux par où les vieillards blancs,
Tout en pleurs, regardaient les rudes coups d'épées,
En dressant vers le ciel muet leurs bras tremblants.
Le Moyen-Age grave et sombre vit encore
Dans son enceinte ovale où se dressent les tours
Des Jaquemarts debout dans leur clocher sonore,
Flèches, porches, palais, dômes aux noirs contours.
Aux faîtes les plus hauts et dans chaque lézarde,
Des fleurs mêlent leur grâce aux festons du granit,
Et même le figuier sauvage s'y hasarde
Au ppied noueux duquel l'hirondelle a son nid.
Ici c'est le palais tortueux et sévère
Des papes qui trônaient plus puissants que les rois ;
Là, l'église des Doms, et, devant, son Calvaire
Où se dresse un grand Christ en pierre sur sa croix.
Le crucifié triste est debout à mi-côte
du Rocher, mamelon riant de pins planté :
Une place au sommet ; sur cette place haute
Un Jean Althen de bronze, orgueil de la cité ;
Car c'est sous cet azur de clémence, que pousse
La garance, couleur de la vie et du sang.
Oh ! le divin pays, où la langue est si douce
Sur les bords enchantés du Rhône si puissant !
Avignon resplendit dans un passé de gloire ;
Pétrarque à son nom seul m'apparaît et sourit,
Et son présent est beau de garder la mémoire
Du parler des anciens dont un mot m'attendrit.
Ô félibres, salut ! Salut, ô Roumanille ;
Chanteur de la grenade entrouverte, Aubanel ;
On sait que votre accent donne à la jeune fille,
Étant fait pour l'amour, un sourire éternel
Et toi Mistral, au nom prédestiné ; félibres,
Vos voix ont dominé, si douces cependant,
Le Rhône et son mistral qui, sauvages et libres,
Sur les ponts d'Avignon se brisent en grondant !
Coteaux du Languedoc, Alpines, monts et chênes,
Qu'écoutez-vous, penchés en cercle à l'horizon ?
Les monts et les forêts écoutent dans les plaines,
Près du Rhône qui luit, la chanteuse Avignon.
Jean-François Victor Aicard - 1874
Miroir
Le long des remparts du Rhône. Dort la ville à l'envers dans le Rhône, dort.
Ses vibrations. Du premier au troisième pont jouent de la harpe les coupoles, jouent de la vielle en nacelles les palais dans l'eau les lucioles. Roulent en médaillons des noces avec des servants de chapelle, et des belles que font danser des vertiges, coulent des flammes fugitives dans des corolles lapidaires, et des églises liquides penchent leurs clochers solidaires, des emblèmes d'une autre époque rament vers de blonds candélabres, gaffent lunent signent platanent, des syllabes, des synonymes, des portes dociles de style, des tuiles, des péristyles et des plaques, je vois la ville,
et le fleuve, qui l'aime, d'un geste lent et caressant l'enlace, l'embrasse; la prend. On croirait qu'il voudrait lui dire en mots virils des choses tendres. Il le fait, d'ailleurs, il suffit d'entendre,
un arbre mort passe sa tête, noir sur l'espace d'un regret; venu de loin, banni fragile et frémissant dans les dentelles, brusquement surgi solitaire,
glissent aussi des lampes rouges vers la berge où vont les péniches; des fanaux verts, glissent des rêves invisibles, du quai de la Ligne aux allées de l'Oulle. Et des taches claires, sans contours, traversent des buvards de lumière.
D'ici tout semble éternité, fantaisie exacte et masquée, balancier, fumées blanches toujours charpentes, glaives de bulles grandissimes, rendez-vous des scintillements, pèlerins à plusieurs visages. Les murailles sont gigantesques.
Miroir, infiniment cœur, nonchalamment cour, et sablier.
Baiser.
Le long des rempart du Rhône. Dort la ville à l'envers dans le Rhône, dort.
Christian Jauréguy
Miroir, extrait de Sept poèmes pour Avignon
Miroir
La chanson des Félibres
Souto lou grand cèu blanc,
L'oundado negro
Miraio, en barrulant,
La luno alegro !
Dóu goutique Avignoun
Palais e tourrihoun
Fan de dentello
Dins lis estello.
Avignoun, grasiha,
De l'escandiho,
Tambèn de fes que i'a
Lou jour soumiho !
Mai, s'acampo au soulèu
Si gai felibre, lèu
Es di cigalo
La capitalo....
Sous le grand ciel blanc,
le flot sombre
reflète, en roulant,
la lune joyeuse !
Du gothique Avignon
palais et tourelles
font des dentelles
dans les étoiles...
Avignon, grillé,
de rayons,
tout de même quelquefois
le jour sommeille !
Mais, s'il assemble au soleil
ses gais félibres,
vite il devient des
cigales la capitale...
Théodore Aubanel
Provence
Champ de lavande ciel d’orage tombé par terre
Oliviers fine monnaie d’argent verdi
Cyprès porte-plume aux portes des cimetières
Stridulantes cigales affolées et ravies
Seins lourds et ballotants des vendeuses de miel
De melons d’eau cerises et angélique
Chaque soir les hirondelles crient la mort du soleil
Les gens d’ici ont un parler de basilic
Le sable brûle sous les aiguilles de pin
Quand le vent souffle les arbres pleurent
Avec lui s’envole l’odeur de menthe l’odeur de thym
Des fourmis montent à l’assaut des petits-beurre
Du goûter oublié sous un vieil amandier
Bosse noire bosse blanche Mont Ventoux
Plus beaucoup de perdrix et peu de sangliers
Mais dans chaque village toujours ces beaux matous
Qui ne connaissent que leur perron et les trois rues autour
Je rêve des anciens bergers dans les garrigues
Ici pas de semailles pas de labours
Mais des vignes des vignes et des figues
Champ de lavande ciel d’orage tombé par terre
Liliane - Texte &aquarelle
Liliane
La rue des Teinturiers
C'est la fraîche oasis du rêve et du mystère
D'où monte la prière, où pleure le regret.
Là, le silence et l'ombre offrent leur double attrait
À qui porte un secret dans l'âme et veut le taire.
Le flot bleu de Vaucluse au canal transparaît,
La roue en s'égouttant l'éparpille par terre
Donne de la fraîcheur à la chapelle austère ;
Le pénitent se trouble à ce charme indiscret.
Au pied de cette tour que l'ogive décore,
L'âme de Laure rôde, et nous attire encore.
L'eau vient baiser les bords où reposa sa chair.
C'est ainsi que, malgré la course et son épreuve,
La Sorgue filiale, à qui ce nom est cher,
Se souvient de sa source en tombant dans le fleuve.
Paul Manivet, 1913
Le poème du Rhône
C'est Avignon et le Palais des Papes ! Avignon ! Avignon sur sa Roque géante ! Avignon, la sonneuse de joie, qui, l'une après l'autre, élève les pointes de ses clochers tout semés de fleurons ; Avignon, la filleule de Saint-Pierre, qui en a vu la barque et l'ancre dans son port et en porta les clefs à sa ceinture de créneaux ; Avignon, la ville accorte que le mistral trousse et décoiffe, et qui pour avoir vu la gloire tant reluire, n'a gardé pour elle que l'insouciance.
Frédéric Mistral, 1897
Les matins d’Avignon sont légers et limpides. On dirait qu’ils sortent du Rhône et qu’ils ne se sont pas essuyés. Le ciel n’est pas du bleu massif, de l’indigo païen et africain, du bleu implacable de certaines régions. Il a quelque chose d’aéré et de tendre, de spirituel et de pur. J’ai presque envie de dire que l’air s’y est champanisé.
Quand le soir descend ou que la nuit est venue, il faut se perdre dans les étroites rues (…). On entre dans le noble passé d’Avignon, dans ce qui est sa gloire, sa poésie et son charme. Des coins d’ombre, des noirs d’eau-forte sont égratignés par la lumière d’une lampe, un corridor ouvert montre une voûte de chapelle gothique ; les lourdes portes cloutées sont fermées, et derrière les barreaux de fer des fenêtres grillées on verrait parfaitement quelque blonde Florentine attendant l’heure de la sérénade.
La façade d’un palais du XVème siècle a l’air d’une magistrale composition de Piranèse, la cloche d’une chapelle perdue sonne doucement, et l’on ne serait guère surpris de rencontrer une patrouille d’hommes d’armes, le carrosse du pape Clément V, la nièce d’un cardinal, Pétrarque rêvant à l’inaccessible Laure…
Entre juin et octobre, les belles nuits d’Avignon ont toujours un air de fête populaire au XIIIème siècle, une gaîté qui ne manque jamais d’élégance et, même sur les placettes les plus désertes, il y a comme un écho de violon, un reflet de lanterne vénitienne.
Derrière Saint Didier il y a sur une placette une petite maison appuyée au vieux mur de l’église. Elle n’a qu’un étage et, de sa fenêtre, en étendant le bras on doit pouvoir toucher la Vierge de pierre qui est dans une niche. Deux croisées à rideau bleu tendre, une plante dans un pot. Ce modeste appartement est loué, mais chaque fois je regrette de n’en être point le locataire.
Leo Larguier, Les matins
Photographie : Léo Larguier et Jeanne de Flandreysy au Palais du Roure
Avignon n’est plus qu’une petite ville, mais c’est une petite ville d’un aspect colossal. J’y suis arrivé vers le soir. Le soleil venait de disparaître dans une brume ardente ; le ciel avait déjà ce bleu vague et clair qui fait si divinement resplendir Vénus ;
quelques têtes d’hommes, brunes et hâlées, se montraient sur les hautes murailles comme dans une ville turque, une cloche tintait, des bateliers chantaient sur le Rhône, quelques femmes pieds nus couraient vers le port, je voyais par une porte ogive monter dans une rue étroite un prêtreportant le viatique précédé d’un bedeau chargé d’une croix et suivi d’un fossoyeur chargé d’une bière, des enfants jouaient sur des pierres à fleur d’eau au bas du quai ; et je ne saurais dire quelle impression résultait pour moi de la mélancolie de l’heure mêlée au grandiose de la ville.
Avignon se meurt comme Rome de la même maladie que Rome avec autant de majesté que Rome.
Pourtant, si vous voulez conserver l’impression entière, si vous voulez emporter dans votre esprit, dans votre cœur peut-être, Avignon vierge et vénérée, si vous voulez qu’aucun sentiment moindre ne trouble en vous les hautes pensées qui sortent de la contemplation de cette ville, n’abordez pas, n’entrez pas dans Avignon, passez en toute hâte, descendez le Rhône, gagnez Beaucaire ou Marseille, une cité marchande quelconque et de là retournez vous vers Avignon pour l’admirer.
Victor Hugo
Les Amants d’Avignon
L’amour vous tient entre les murs de ma ville… « Avignon-la-folle » !, ville sainte, ville satanique, vouée aux miracles et aux sortilèges, à la Vierge, à Vénus, aux démons, embrasée par les feux des bûchers, par les fêtes de nuit… Les péchés de bouche, le nonchaloir, les femmes les plus belles, d’adorables femmes galantes, de galants hommes… Et voilà qu’à l’amour il pousse des ailes, c’est l’amour sacré, l’amour éternel… Les couvents se ferment sur les femmes qui quittent ce monde… Vous verrez ce que c’est que la magie d’Avignon ! Dans quelle autre ville trouverez-vous sur un mur une inscription glorifiant la naissance d’un amour, comme celle d’un grand homme : Ici, Pétrarque conçut pour Laure un sublime amour qui les fit immortels… Et ne croyez pas qu’Avignon succombe sous le poids de l’Histoire, cette ville est tissée de légendes, chaque jour y ajoute un fil, ici chacun est Pétrarque, chacune est Laure… Que de couples immortels dans les rues de cette ville de l’amour, de cette ville mystique et galante…
Elsa Triolet
Les Comtadines.
Blondes aux yeux d'azur, brunes au front vermeil,
Filles de notre ciel et de notre soleil,
Paysannes et citadines,
Vos charmes ne sont point par la mode trahis.
Comme on vous reconnaît !
Vous êtes du pays,
Même sans coiffes comtadines.
L'âme du Comté chante en vos propos joyeux ;
Jeanne, Laure, Zani rient encor dans vos yeux;
Vous êtes la vivante flore
Qui réjouit la rue, embaume le foyer ;
Et que, pour nous séduire ou pour nous égayer,
L'amour chaque avril fait éclore.
Sur nos trottoirs souillés, sur nos pavés pointus,
Je tremble pour vos pas, comme pour vos vertus.
Votre essor ailé me console;
Je me dis en voyant l'une de vous passer :
Ses pieds ne semblent pas sur le sol se poser,
Et, pour l'éviter, elle vole.
Votre charme retient le troubadour errant.
Vous êtes l'idéal dont Pétrarque s'éprend,
Et sur vous la gloire rayonne ;
Depuis, ce qui parfois, comme un souffle léger,
Murmure à votre oreille, en vous faisant songer,
C'est un sonnet qui papillonne.
Paul MANIVET
Pierre Grivolas Les Comtadines - Musée Calvet
Écrit sur un mur rue du Rempart du Rhône, poète anonyme
La Madone aux pieds nus de Jean Giono
Notre-Dame-du-Spasme
Église saint Didier
Mais à la même aube, à Avignon, sur la place Saint Didier, Notre-Dame-du-Spasme ayant quitté son retable vient rafraîchir ses pieds nus sur le pavage de galets qui faisait crier la goutte à Stendhal. C’est à travers la rue de la Bonneterie, la place Stalingrad et la rue Carnot qu’il faut aller à la Place du Palais. De vieilles maisons qui ne se sont pas lavé les dents depuis des siècles et ont au surplus de graves ennuis de tuyauterie soufflent une haleine corrosive sur vos talons. C’est saint Jean clamant dans le désert. On est dans la bouche d’or des prophètes forts en gueule, mangeurs de poireau cru. Le fleuve – qu’on entend mugir par-dessus les toits – parle, malgré sa vivacité, de Jourdain, de mer Morte, de civilisation pastorale, parfumée bon gré mal gré et in aeternum de suint de mouton. La fraîcheur helvétique qui vous saisit au détour des murs du Palais vous surprend sans vous enchanter. L’air a beau être embaumé de cette odeur de cannelle des arbres abondamment arrosés, le remugle palestinien des petites rues s’accordait mieux avec les grandes lignes verticales de la façade mi-sévère mi-goguenarde de la forteresse des papes appuyée sur l’azur de plomb d’un ciel que le soleil n’élime pas encore. On peut avoir là, suivant les saisons, entre l’Hôtel des Monnaies et les « marches du Palais », d’un à trois quarts d’heure d’Italie, tant que la ville ne remue pas. Dès qu’elle bouge c’est fini, ou plus exactement c’est autre chose : c’est l’opérette, l’opera buffa, presque Cosi fan tutte, à suivre le manège de tout ce qui prend le café, le pastis ou le frais sur la place Georges Clémenceau. Toutes ces sensations mirifiques sont d’ailleurs fonction l’une de l’autre, se complètent, s’enrichissent, se font valoir, et tel « primeuriste » à maillot de peau, tel rentier à gilet de basin, chaîne de montre et allure de toupie, telle fillette à corolle de jupons empesés, perdraient de leur cocasse s’ils ne pouvaient être confrontés avec le gothique du XIVème siècle, et le souffle léonin des ruelles. Il y a d’ailleurs autour de cette ville de très beaux remparts qui manquent de hauteur – c’est l’avis général – mais sont encore très capables d’estropier les élèves de l’école primaire. Avignon a son monstre du Loch Ness : c’est le mistral. Il y souffle avec une violence extrême et pendant cinq à six minutes la vieille ville perd son odeur. Mais pour les poëtes du cru (je veux dire : le boucher, le marchand drapier, l’épicier et d’une façon générale tous ceux qui ont un fil à la patte, et un comptoir à l’autre bout du fil), le mistral a partie liée avec le Rhône, et dévore bon an mal an, à l’aide du fleuve dans laquelle il les pousse, plusieurs douzaines de voitures automobiles, cargaison comprise. Les modestes, ou ceux qui ont une culture nordique, prétendent qu’il s’agit uniquement de deux-chevaux, les autres parlent de camions bâchés. Il est de fait que par tempête de noroît (ou de notos), la ville hurle comme Troie la nuit de sa mort. La véhémence des arbres, le fleuve qui rebrousse ses écailles, les murailles qui tremblent, le clairon qui sonne dans tous les couloirs, la poussière qui fume de toute part, le ciel blanc, le soleil malade dressent le décor d’un sublime exceptionnel. Avignon est alors une ville à nulle autre pareille ; elle s’arrache à l’époque actuelle pour devenir la ville flottante de Gulliver.
Stalingrad fut le nom brièvement donné à la place Pie dans les années 1950-1960
Georges Clemenceau fut celui, tout aussi brièvement, de la place de l'Horloge
Jean Giono - Extrait d'un article intitulé « Il est vain de vouloir réunir… » d’après la première phrase,
tiré de «Images de Provence », Les Heures Claires, 1961.
Baedecker : Guides de voyage très en vogue dans la bonne société lors des «tours » en Europe, fin XIXème- début XXème siècle, du nom de Karl Baedeker libraire et écrivain allemand (1801-1859).
Les touristes
Baedeker à la main, kodak en bandoulière,
Casquette à larges bords, costumes à grands carreaux,
Le pas délibéré, l’allure cavalière,
Ils errent par la ville en voyageurs farauds.
Cherchant à se guider dans cette fourmilière,
Ils vont, levant le nez, lisant les numéros,
Au grand amusement de la vive écolière
Qui leur tire la langue à travers les barreaux.
De la Porte de l’Oulle ils courent au Musée ;
Le Château fait pâlir leur face médusée ;
Ils se plantent devant la caserne d’Hautpoul…
Puis, quand ils ont battu le record des visites,
Nos touristes, grisés de tableaux et de sites,
Regagnent leur hôtel en disant « Beautiful ! »
Ernest Feuillet – Les Cent sonnets - 1913
Les Avignonnais vus par Mérimée,
à qui l'ont doit la survie des remparts
En arrivant à Avignon, il me sembla que je venais de quitter la France. Sortant du bateau à vapeur, je n'avais pas été préparé par une transition graduée à la nouveauté du spectacle qui s'offrait à moi : langage, costumes, aspect du pays, tout paraît étrange à qui vient du centre de la France. Je me croyais au milieu d'une ville espagnole. Les murailles crénelées, les tours garnies de mâchicoulis, la campagne couverte d'oliviers, de roseaux, d'une végétation toute méridionale, me rappelaient Valence et sa magnifique "Huerta", entourée, comme la plaine d'Avignon, d'un mur de montagnes aux profils déchiquetés, qui se dessinent nettement sur un ciel d'un azur foncé. Puis, en parcourant la ville, je retrouvais avec surprise une foule d'habitudes, d'usages espagnols. Ici, comme en Espagne, les boutiques sont fermées par un rideau, et les enseignes des marchands, peintes sur des toiles, flottent suspendues le long d'une corde comme des pavillons de navire. Les hommes du peuple basanés, la veste jetée sur l'épaule en guise de manteau, travaillent à l'ombre, ou dorment couchés au milieu de la rue, insoucians des passans ; car chacun sur la voie publique se croit chez lui. La rue, pour les Espagnols, c'est le forum antique ; c'est là que chacun s'occupe de ses affaires, conclut ses marchés, ou cause avec ses amis. Les Provençaux, comme eux, semblent ne regarder leur maison que comme un lieu d'abri temporaire, où il est ridicule de demeurer lorsqu'il fait beau. Enfin, la physionomie prononcée et un peu dure des Avignonnais, leur langage fortement accentué, où les voyelles dominent, et dont la prononciation ne ressemble en rien à la nôtre, complétaient mon illusion et me transportaient si loin de la France, que je me retournais avec surprise en entendant près de moi des soldats du Nord qui parlaient ma langue.
Prosper Mérimée (1803 – 1870)
Notes d'un voyage dans le Midi de la France
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Portrait photographique de Prosper Mérimée (1803-1870)
Graffiti gravé au canif par Mérimée dans la chapelle saint Martial (et oui, nul n'est parfait !)
Arbre poèmes rue des Teinturiers en septembre 2024