L’HÔPITAL SAINTE MARTHE 1
Effigie de Bernard de Rascas - Intérieur de Université
Bernard de Rascas, gentilhomme limousin, parent des papes Clément VI et Innocent VI, chevalier et docteur en droit passionné par l’étude des saintes Écritures, membre du Conseil de Ville, juge à l’officialité, maréchal de justice, professeur de droit, c'est un riche propriétaire. Le pape lui confie la mission de surveiller l’édification des nouveaux remparts.
Il est aussi un troubadour que Nostradamus, dans son Histoire de Provence, cite comme poète distingué. Il composa pour l’élue de son cœur jusqu’à la mort de celle-ci, Constance d’Astoaud, fille du seigneur de Mazan.
En 1353, marié avec dame Marie-Louise de Petragrossa, dite aussi Mariette de Peyregrosse, il fonda avec elle, par un don de 10 000 florins d’or, un hôpital sous le nom de sainte Marthe, établi hors les murs dans un lieu appelé la Plaine saint Lazare, puis inclus dans la ville après la construction des remparts. L’année suivante, ils fondèrent le couvent des Trinitaires, des religieux destinés à administrer les sacrements aux malades. La fondation fut confirmée par une bulle d’Innocent VI.
Membre de l'ordre
des Trinitaires
Décédé en 1365, Bernard de Rascas fut inhumé dans l’église des Trinitaires.
A cette époque Avignon comptait deux autres hôpitaux, celui du Pont construit par Bénezet pour les écrouelleux et scrofuleux, et la maladrerie de saint Lazare.
L’administration de l’hôpital
L'ordre de la « Très Sainte Trinité et des captifs », dit ordre des Trinitaires ou Mathurins, fut fondé à la fin du XIIème siècle pour racheter les chrétiens prisonniers des Maures. Les Trinitaires se virent confier le service spirituel des malades et la gestion complète de l'hôpital jusqu'à ce que le légat d'Avignon, Julien de la Rovère, institue en 1481 trois recteurs annuels, dont un seulement chez les Trinitaires. Puis la gestion passa entièrement aux mains des laïcs sous le contrôle des autorités qui choisirent deux recteurs au sein du Conseil de Ville.
Le canal Hôpital-Durançole, le plus ancien des canaux de la Plaine d'Avignon construit au XIIIème siècle, fut acheté par la ville pour l'hôpital sainte Marthe à usage agricole.
"Inventaire et répertoire des statuts et titres de l’hôpital des pauvres Saint Bernard Rascas dressé par la Ville contre les appropriations du couvent des Trinitaires autrefois recteurs de l’hôpital."
Registre en parchemin avec lettrines 1546-1547
Archives Municipales
Les bâtiments du couvent furent renovés vers 1663 ; des scandales avaient entraîné l’expulsion des trois derniers Trinitaires. Les Hospitalières de saint Joseph de la maison de Nîmes, sur la demande des Avignonnais, acceptèrent en 1672 de venir «arrêter le désordre qui règne dans le splendide hôpital».
Grâce à leur action bénéfique durant la peste de 1721, les Trinitaires obtinrent de reprendre leur service à l'hôpital et réunirent des fonds pour le rachat d'esclaves.
Le couvent fut supprimé à la Révolution. Dispersées, les Hospitalières de saint Joseph revinrent par la suite mais les troubles politiques, engendrés par la séparation de l’Eglise et de l’Etat selon la loi de 1905, les obligèrent à quitter Avignon et elles allèrent fonder un hôpital en Belgique.
Reconstruction de l’hôpital
Les effectifs des malades reçus n’avaient cessé d'augmenter et les travaux pour la reconstruction du bâtiment médiéval furent mis aux enchères en 1667. Jean André Borde obtint de dresser les plans et diriger leur exécution. Il conçut la grande façade de 175 mètres de long, avec ses fenêtres rapprochées et ses lucarnes, uniques à Avignon, et un grand escalier reproduisant le style Louis XIII de La Valfrenière dont il avait été le collaborateur.
Borde mourut en 1667 mais les travaux reprirent aussitôt, avec quelques modifications, par Delbène puis Jean Peru dont les devis furent payés dix louis d’or. Le maçon principal fut Jacques Duprat. Le plafond du grand escalier fut refait sur un dessin de Mignard. En 1721, le chantier repris par François et Jean Baptise Franque fut interrompu par la peste. Un nouveau bâtiment perpendiculaire fut dédié au logement des « personnes malades de qualité » grâce à des donations spécifiant que les chambres devaient être affectées à des aristocrates et des ecclésiastiques. Cet aménagement exceptionnel dénote une nouvelle attitude de la société envers l’hôpital, considéré non plus uniquement comme un mouroir public mais comme un lieu où l’on pouvait avoir un peu plus de chances de survivre que chez soi.
De 1743 à 1745, JB Franque construisit la partie droite sur le modèle de Borde terminé par Jean Peru. Puis le père et le fils édifièrent l’avant-corps à colonnes superposées qui coupent les lignes de la longue façade et forme une entrée majestueuse. Les fonds avaient été collectés grâce aux quêtes patronnées par le père Bridaine, un missionnaire célèbre par ses sermons vigoureux et sa ferveur, qui avait fait ses études chez les Jésuites d’Avignon et au séminaire Saint-Charles.
Le père Bridaine
Cathédrale de Nîmes
Les revenus consistaient en vente de son, de graisse, de feuilles de mûriers, de hardes des décédés, et grâce à des aides municipales et pontificales, voire des emprunts. De nombreux legs dotèrent l'établissement de revenus et de biens immobiliers importants. Parmi les généreux donataires, on compte Madeleine de Lartessuti pour 10 000 écus dans un vase en porcelaine et plusieurs diamants ; Gilles de Berton duc de Crillon, qui légua tous ses biens ; Antoine de Lopis de Montmirail donna 120 000 francs, Astier de Montfaucon 150 000 francs, Broutet des propriétés produisant 1800 francs de rentes…
La réforme de l'an V réunit tous les hospices d'Avignon sous la direction d'une unique commission administrative. En 1845, lors de la fermeture de l'ancienne Aumônerie générale, les indigents et les vieillards furent accueillis à sainte Marthe, puis aux hospices saint Louis jusqu’à la création du centre hospitalier d'Avignon en 1982. La cour du campus actuel était alors une esplanade faisant suite à la rue des Allemands (devenue rue Pasteur)
L'hôpital sainte Marthe fonctionna jusqu'en 1994. De grandes salles accueillaient les patients dont les lits étaient séparés par des rideaux. Ce sont les Sœurs de l'Immaculée Conception qui pratiquaient les soins.
L'hôpital rénové et transformé devint ensuite l'Université d'Avignon et des pays de Vaucluse.
Il est inscrit au titre des monuments historiques.
Carte postale de la façade de l'hôpital
Concert donné pour les blessés de la guerre de 14-18
La pharmacie
La pharmacie, fondée en 1543, fonctionna jusqu'au début du XXème siècle. Elle comporte 36 chevrettes (cruches à bec en faïence) et 36 pots canons achetés 25 sols pièce en 1731 à Olivier, faïencier à Montpellier. Un laboratoire attenant a conservé mortiers, alambics, presse, bassines, « couloirs », fourneaux, balances, seringues, tasses...
Elle était gérée par un « apothicaire domestique » attaché à l'hôpital, plus tard simple « garçon », qui avait suivi une formation de sept ans chez un maître, était auditionné par les médecins et prêtait serment. Supervisé par un intendant nommé par le Conseil de Ville, il devait vérifier la qualité des drogues, préparer les compositions et examiner les candidats, faire l’inventaire du stock pour prévoir les achats. L'apothicaire ne devait pas distribuer de drogues aux filles ni aux femmes, pour éviter de faciliter les avortements. Les médicaments étaient donnés le matin à jeun et le soir.
Il fut noté que durant le terrible hiver de 1699 et lors de la peste entre 1720 et 1722, les premier et deuxième garçons hospitaliers se montrèrent plus courageux que les recteurs.
Ils étaient choisis par examen parmi les apprentis, et devaient être en bonne condition physique. Un garçon de Toulon désigné bien qu’il soit « faible, petit, boiteux et borgne» fut remplacé par un compagnon plus robuste. Les gages étaient modestes. L’hôpital fournissait « un justaucorps en toile noire l’été, en cadis gris ou en serge d’orange l’hiver, et des robes de boutique ».
L’administration comptait en outre les recteurs, des avocats, trésorier et secrétaires.
Le personnel nombreux comportait officiers maîtres d’hôtel, domestiques, portier, cuisinier, boulanger, sage-femme, et par contrat, vitrier, coutelier, étainier, chaudronnier, papetier…
Les médecins exerçaient un contrôle et visitaient souvent la « boutique ». Les recteurs, par souci d’économie, vérifiaient les cahiers d’ordonnances (beaucoup de purgatifs) et tenaient le compte des dépenses de l’officine. L’achat des drogues représentait 2000 livres par an, soit plus de 10% des dépenses de l’hôpital.
Les médecins se réservaient la délivrance des drogues précieuses et compositions coûteuses, en particulier la thériaque dont la préparation nécessitait plus d'un an et demi car elle devait fermenter, et faisait appel à plus de soixante-quatre ingrédients végétaux, minéraux et animaux : entre autres vin, miel et térébenthine de Chine, gentiane, poivre, myrrhe, acacia, rose, iris, rue, valériane, millepertuis, fenouil, anis poivre, opoponax (résine végétale), mie de pain, sulfate de fer, chair séchée de vipère, rognons de castor...
La principale source d’approvisionnement se trouvait à la foire de la Madeleine à Beaucaire. Recteur, intendant, maître d’hôtel, premier apothicaire y louaient une chambre pour sa durée et effectuaient d’importants achats, produits médicinaux, denrées alimentaire et produits usage courant. Beaucoup de plantes en revanche provenaient du jardin de l’hôpital.
Dans l'inventaire des drogues de 1661 figurent des poudres de toutes sortes, des pilules, des emplâtres, des onguents, du quinquina, de l'ipéca, du mercure, du soufre contre la gale, de la rhubarbe ; du vitriol, de la mélisse, des fleurs de pêchers, des feuilles d'or et d'argent ; des racines de turbith (liseron), d’aunée, d’angélique, de pivoine,, de tacamahaca (arbre de la Réunion), de belladone ; du quinquina, de l’écorce de simarouba (Guyane, troubles digestifs), de l’huile de galbanum (plante vivace), de la gomme gutte (résine de mangoustanier), de la terre de Cologne, de l’indigo, de l’angustura, de la rhubarbe et de la poudre de feuilles de séné, de l’euphorbe…
Pour lutter contre la peste on achetait de la poudre à fusil, pour parfumer les salles de l’encens de jardin, du tabac, des boîtes d’étain « pour y tenir une éponge trempée de vinaigre » destinée à servir de filtre respiratoire, des habits de toile cirée pour les infirmiers.
La pharmacie et la salle d’archives ont conservé leurs boiseries anciennes et leurs armoires en noyer avec pilastres ajourés ornés de rosaces, et chapiteaux en coquille, exécutées par le menuisier Capeau, ainsi qu’un mortier en marbre blanc, deux vases en faïence de Moustiers, les pots et flacons d’origine qui servent de références aux chercheurs contemporains pour la pharmacopée ancienne.
La pharmacie, restée propriété du Centre Hospitalier d’Avignon en son état de conservation et de fonctionnement du XVIIIème siècle, n’est visible que lors des Journées du Patrimoine.
La chapelle
Jean Baptiste Franque éleva également la chapelle des religieuses de l’hôpital en 1751.
Cette chapelle très sobre, dénommée saint Joseph et rebaptisée sainte Marthe, fut construite sur la demande des sœurs de saint Joseph.
Sa façade de deux étages est surmontée d’un fronton triangulaire. Un bas-relief représente le repos de la Sainte Famille en Égypte, et l’intérieur en croix grecque présente un chœur carré à pans coupés avec une voûte plate en stéréotomie. Les chapelles latérales sont voûtées en berceau. Une statue de saint Joseph se situe dans une niche extérieure.
La chapelle est à présent l’aumônerie pour les étudiants et n’est ouverte que pour les offices.
Chapelle saint Joseph dite sainte Marthe : statue de saint Joseph, vue intérieure, voûte en stérétomie
(Photographie © Béatrice Gaillard) et bas relief.
De nos jours, l’ancien hôpital sainte Marthe accueille l’université
Voir l'article "L'université d'Avignon"
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Bibliographie
-Joseph Girard, Évocation du Vieil Avignon, Les Éditions de Minuit, Paris, 1958
-Julien Pierre, L'Hôpital Sainte-Marthe d'Avignon à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècles Revue d'histoire de la pharmacie, 1979
-Béatrice Gaillard, « Les Franque et les bâtiments hospitaliers d’Avignon au XVIIIe siècle : entre tradition et mutations », dans In Situ. Revue des patrimoines, 2017
-Françoise Moreil, Catherine Vieillescazes (dir.). Un trésor à l'Université d'Avignon : la pharmacie de l'Hôpital Sainte-Marthe. Éditions Universitaires d'Avignon, 2018
-Michel Ibert, L'Hôpital Sainte-Marthe d'Avignon à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle