DE LA MAISON COMMUNE A L’HÔTEL DE VILLE
Dès le haut Moyen Âge, marchands et artisans citadins ne veulent plus dépendre entièrement d’un seigneur, qu’il soit laïc ou ecclésiastique. Au cours des XIème et XIIème siècles, les cités les plus dynamiques obtiennent des libertés et des privilèges inscrits dans des chartes et édifient, se donnant ainsi une légitimité, une «maison de ville » ou «maison commune».
Les « villes de consulat » telle Avignon laissent une large place à la noblesse et au clergé au sein de leur Conseil. Chaque catégorie d'habitants élit un consul, héritage d’une tradition antique. Le pouvoir municipal est exercé par deux assemblées : celle des notables délibère et élit une fois par an l’assemblée du «corps de ville », organe exécutif.
Ce n'est qu'au XVIème siècle que le terme "Hôtel de Ville" s'impose, peut-être en rapport avec la façon dont les bourgeois offraient (de bon ou de mauvais gré) le gîte et le couvert aux rois et princes de passage. Le terme de mairie n’apparaît qu’à la Révolution, laquelle met en place l’existence administrative des communes.
L'Hôtel de Ville a une fonction politique : salle du Conseil, bureau du maire et des conseillers municipaux - et administrative : état civil, salle des mariages, cadastre. Il est souvent doté d'une tour ou beffroi. Le rez-de-chaussée abrite un large vestibule et peut servir de halle. La salle du Conseil occupe généralement le premier étage du bâtiment et ouvre sur la rue ou la place par une tribune ou un balcon.
De nombreux Hôtels de Ville sont construits ou reconstruits sous le Second Empire, ce qui est devenu nécessaire au vu de l’accroissement des responsabilités échues aux Conseils municipaux.
A Avignon, il faut remonter au XIVème siècle pour rencontrer Audouin Aubert, neveu du pape Innocent VI et évêque de Maguelone (près de Montpellier) qui, entre 1352 et 1364, agrandit considérablement une ancienne « livrée » édifiée au début du siècle par le cardinal Pierre Colonna. Cette livrée est située au « carrefour de la porte Ferruce ». Ce « carrefour » étroit est alors tout ce qui reste de l’ancien forum (actuelle place de l’Horloge) largement bâti. Aubert y fait ajouter une tour carrée de style gothique
A la mort d’Audoin Aubert, cette tour est léguée aux Bénédictines de saint Laurent, dont la présence remonte au Xème siècle, qui avaient leur couvent juste à côté.
Au XII et XIIIème siècle, les consuls siégeaient au Palais de la Commune (voir au chapitre Vice-Gérence). La « maison commune » est ensuite installée rue de l’Argenterie (actuelle rue de la Bancasse). En 1447, sous l’impulsion du cardinal de Foix, les syndics d’Avignon achètent au collège saint Ruf de Montpellier – auquel l’avait léguée le cardinal Anglicus Grimoard, frère du pape Urbain V en 1383 – la plus grande partie de la livrée : vestibule, tinel, chambre de parement et divers autres locaux ayant un besoin urgent de réparations, pour y établir une nouvelle maison commune. En 1452 ils louent aux Bénédictines la jouissance de la tour où ils entreposent les archives municipales, jusque là conservées au couvent des frères Mineurs (les Cordeliers).
Le couvent des Bénédictines de saint Laurent, la tour
et la place couverte de constructions (Archives municipales)
Comme on le voit sur la gravure ci-dessus, le « carrefour » n’est toujours guère plus qu’une rue, encombrée et mal pratique. On décide de dégager les abords de la Maison commune en abattant deux maisons pour laisser plus de place au marché des fruits et volailles ; ce sont les propriétaires voisins qui doivent participer financièrement aux travaux.
Au cours de l'année 1497, la ville achète aux Bénédictines la tour et «l’arsenal » pour 2000 florins d’or. Une aile est ajoutée près de l’entrée de la maison commune, et la façade décorée de deux bas-reliefs : «le bon Gouvernement » par Francesco Laurana et «la Vérité amie » par Jean de la Barre. Ferrier Bernard, qui avait sculpté la façade de Saint-Agricol, ajoute une niche avec une statue de la Vierge. La place de l’Horloge est de nouveau agrandie par de nouvelles démolitions, sans aller jusqu’à en faire la vaste « place d’armes » souhaitée, faute de financement.
En 1674, les consuls déclarent que la place, qui sert toujours de marché, « ressemble plus à une petite rue ou une ruelle qu’à une place publique. Les carrosses et les charrettes ne peuvent passer par icelle qu’avec grand’peine ; des personnes ont été estropiées et d’autres tuées. » Douze ans plus tard, un projet d’agrandissement est lancé. Chaque ville veut alors posséder une vaste et belle place et Avignon n’y manque pas, « pour la beauté de la présente ville et commodité publique », et souvent y mettre en valeur une statue de Louis XIV. Pierre Mignard étant chargé de dresser un plan, on démolit plusieurs bâtiments et il construit une nouvelle « boucherie ».
1734, nouvelles démolitions de quatre maisons vétustes enclavées dans l’Hôtel de Ville, ce qui permet à Jean-Baptiste Franque d’édifier un grand escalier ; quelques années plus tard, il dessine un plan composé de maisons symétriques aux façades uniformes encadrant une place encore élargie. Le bâtiment de la Boucherie de Mansart est détruit dans le but de laisser place à une statue du pape régnant, on commence à rebâtir mais à partir de 1754 les consuls font arrêter les travaux, trop coûteux et sujets à de nombreuses critiques.
En 1790, la population demande le rattachement d’Avignon à la France. Le premier maire sera Jean Baptiste Darmand. Outre les saccages d’églises et de couvents, les municipalités de cette époque entreprennent de supprimer les auvents qui abritaient les étals mais obscurcissaient les rues, font démolir les « croix couvertes » gothiques, déplacent les cimetières intra-muros insalubres.
Décor mural de l'Hôtel de Ville - 1730 (Archives municipales)
Sous le Premier Empire, Avignon a, selon les dires de plusieurs chroniqueurs, l’aspect d’une « ville morte»: beaux hôtels particuliers désertés, calades toujours étroites et tortueuses, éclairage insuffisant. A partir du milieu du XIXème siècle, les maires successifs vont s’employer à moderniser la vieille cité – au détriment de nombreux bâtiments désormais considérés comme archaïques.
L’Hôtel de Ville est une victime toute désignée. Après la démolition en 1823 du couvent des Bénédictines de saint Laurent, désaffecté depuis la Révolution, et malgré l’opposition d’Esprit Requien et de Prosper Mérimée qui souhaitent conserver l'intégralité du bâtiment, c’est donc au tour de l’Hôtel de Ville, jugé par la municipalité vétuste et exigu, d’être rasé sans égard pour sa beauté gothique et son histoire car « son aspect hideux contrastait avec le beau monument du théâtre ». Seule la tour est conservée. Mérimée écrit : «Mauvais projet, on conserve la tour comme on conserve les perdrix à Pithiviers en les mettant dans un pâté dont le cou seul dépasse dehors ». La tour devient un poste de police municipale.
Les services municipaux sont transférés à l’Hôtel des Monnaies pendant les travaux. Le 29 mars 1846 est posée la première pierre du nouvel édifice en présence du maire Eugène Poncet, du curé de saint Agricol qui la bénit avec une brève homélie, du préfet, du maréchal de camp, du Conseil municipal, du président de la Chambre de commerce et d’une foule de badauds.
Le maître d’œuvre, Joseph Auguste Joffroy, et l'architecte Léon Feuchère, qui ajoute un balcon porté par des colonnes, ont proposé un style néoclassique bien en accord avec leur époque. Le coût est estimé à 628 000 francs, soit un peu plus de deux millions d’euros.
Projet de façade pour la reconstruction d'un Hôtel de Ville-1840. Dessin de G. Bourdon(Archives municipales)
Armes d'Avignon au plafond du péristyle
Le 24 septembre 1852, le nouvel Hôtel de Ville est inauguré par le prince Louis Napoléon, futur Napoléon III, qui arrive par le Rhône, salué par l’artillerie, les cloches à la volée et les vivats de la foule. Le préfet et le maire Eugène Poncet sont à l’embarcadère avec les clefs de la ville qui lui sont remises, puis ils prennent place dans une calèche et le cortège entré par la porte saint Lazare suit les rues de la Carreterie, du Portail Matheron, des Marchands.
Sur le parcours, les délégations de 149 communes portant drapeaux et bannières forment une haie d’honneur. Place des Carmes, le prince est invité par l’archevêque à faire ses dévotions à Saint-Symphorien, encadré par deux cents ecclésiastiques, dont les chanoines de Notre-Dame des Doms en surplis rouge. Un banquet est servi à la préfecture.
Louis Napoléon Bonaparte
L’Hôtel de Ville est illuminé, la place de l’Horloge a été décorée de mâts pavoisés portant des couronnes, des croix, des guirlandes de N en verre coloré. 20 000 personnes s’y pressent. Le prince dévoile une plaque provisoire :
HOTEL DE VILLE
Ancienne demeure du cardinal Colonna
Inauguré le 24 septembre 1852 par SAI Louis Napoléon.
Ce qui était faux, puisque cette demeure avait été rasée.
Il y eut ensuite un bal que le futur empereur ouvrit avec Mme Poncet (on imagine l’émoi de la dame), puis un feu d’artifice.
Dix huit ans plus tard ans, ce même Louis Napoléon, devenu Napoléon III, est voué aux gémonies suite à sa capitulation devant les troupes prussiennes à Sedan. En représailles devant cette défaite, la municipalité le déclare « d’indignité nationale » et fait poser une plaque dans le péristyle :
« L’Assemblée Nationale dans les circonstances douloureuses que traverse la Patrie, en face de protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie déjà prononcée par le suffrage universel et le déclare responsable de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France ».
Détruite, puis remplacée en 1878, elle est à présent cachée dans la niche au-dessus de la statue de Marianne. Cette Marianne de bronze porte en écharpe les trois dates républicaines : 1789, 1848 et 1870. Proposée aux municipalités dès 1882, elle est l’œuvre du sculpteur Lecreux. Supprimé durant le gouvernement de Vichy, le buste est triomphalement réinstallé par des résistants en août 1944.
Augustin Canron, dans son « Guide de l'étranger dans la ville d'Avignon » de 1858, s’émerveille : « La façade de cet édifice est très-riche en ornementations et en moulures ; sa principale entrée que surmontent les armoiries de la cité, (trois clefs d'or sur champ de gueules, avec deux gerfauts pour supports et Unguibus et rostro pour devise), s'ouvre entre huit grandes colonnes corinthiennes en marbre de Crussol. Le vestibule est éclairé par une immense lanterne : son imposante colonnade et ses galeries à double étage lui donnent un aspect vraiment grandiose. Les bureaux de la mairie se font remarquer par l'élégance de leur ameublement : ils se trouvent les uns au rez-de-chaussée, les autres à l'entresol. Les salles du premier étage, hautes et spacieuses, parfaitement éclairées et magnifiquement décorées, sont destinées aux réceptions officielles et aux fêtes publiques. »
Cartes postales vers 1900
Galerie du 1er étage
La "forêt de colonnes"
La salle des fêtes et son joyeux décor
L’ornemaniste Edouard Lefèvre, de Montpellier, est chargé par Pourquery de décorer la salle des mariages, longue de 85 m, de boiseries roses et blanches, relevées de stucs et de dorures, (restaurées en 2006). Victor Fontan réalise une statue en marbre blanc, allégorie de la vertu, de la pudeur et de la chasteté. Louis Agricol Montagné, directeur de l’École des Beaux-Arts, exécute des peintures à l’huile marouflées représentant le pont Saint-Bénézet, deux Bords du Rhône, dont un avec le mont Ventoux, et le Fort Saint-André. Félix Charpentier est l’auteur des vases et sculptures placés dans les niches à coquilles, de la cheminée monumentale en bronze et pierre installée en 1902, dont le linteau soutenu par deux atlantes accueille la sculpture Les Lutteuses, ainsi que quatre hauts reliefs : la Famille, le Serment, le Rappel et le Vaucluse, réductions du soubassement du Monument du Centenaire.
Les décors peints sont exécutés par les élèves de Pierre Grivolas et de Paul Saïn, qui représentent la « Nouvelle Ecole d’Avignon », dédiée à la mise en valeur de l’identité régionale et du paysage provençal : Clément Brun, Louis Bonnot dit Lina Bill, Marius Chambon et Antoine Grivolas. Jules Flour représente au plafond un ciel légèrement voilé peuplé d’angelots aux guirlandes.
Quant à la tour gothique rescapée, Mérimée avait réussi à la faire classer en 1862.
Le couple d’automates, fragilisé, est remplacé en 1838. L’original est visible au musée Calvet.
En 1919, la ville désire faire graver les noms des soldats avignonnais morts à la Grande Guerre sur des plaques de marbre. Un devis de 12 000 francs est accepté. Cette grande plaque de marbre gris est placée en évidence dans le péristyle de l’Hôtel de Ville.
En novembre 1921, un mistral particulièrement violent cause des dégâts dans la ville et emporte la grande aiguille de l’horloge, longue de deux mètres et pesant près de vingt kilos, qui tombe sur le balcon de la tour sans blesser quiconque.
Depuis 1975, les façades, les toitures, l’escalier d'honneur et la salle des fêtes sont classés.
Projet pour le bureau du maire en 1950
La verrière du péristyle
L'Hôtel de Ville lors des illuminations de" Hélios 2020"
Un peu de comptabilité pour finir ? Afin de souscrire une assurance, la municipalité fit estimer la valeur de l’Hôtel de Ville. Il fallut plusieurs années pour y arriver, et en 1938 l’ensemble fut évalué à 8 608 020 francs, soit environ 438 500 000 €.
Bibliographie
JBM Joudou – Avignon son histoire ses papes ses monumens – 1842
Joseph Girard – Evocation du vieil Avignon
Robert Bailly – Chronique et histoire d’Avignon en 365 jours
Augustin Canron – Guide de l'étranger dans la ville d'Avignon et ses environs -1858
Stéphane Jordan Chargé de mission Patrimoine https://avignonlaculturelle.hubside.fr/breves
Marie Gloc Dechezleprêtre – Hôtel de Ville au XIXème siècle
https://structurae.net/fr/ouvrages/hotel-de-ville-d-avignon
https://monumentum.fr/hotel-ville-pa00081880.html
Archives Municipales – Illustrations extraites de "Boettes registres layettes"